Monday, July 4, 2016

En route vers Fantasia 2016: 1998 - 2e partie

Lau Ching-Wan n'a pas froid aux yeux dans The Longest Nite, via A Hero Never Dies

Bienvenue à cette seconde partie de la rétrospective de l’édition 1998 du festival Fant-Asia, alors que nous poursuivons notre chemin vers notre destination finale : Fantasia 2016! Après un survol de l’affluence, de certaines anecdotes et des impacts plus personnels, quelles autres surprises notre festival préféré nous réservait-il?


Affiche pour The Gingko Bed, évoquant les toiles de Gustav Klimt; via ShinCine

1998 marquera la présentation d’un premier film de la Corée du Sud. L’honneur revient à The Gingko Bed, du réalisateur Kang Je-Gyu, mettant en scène une histoire d’amour fantastique, où l’âme d’une princesse, confinée depuis des millénaires dans un arbre gingko transformé en lit, retrouve par hasard la réincarnation de l’homme qu’elle avait autrefois aimé et dont le rival, un général auquel elle était fiancée, avait fait exécuter. Le fantôme du général, qui désire toujours la princesse, poursuit sans relâche ce prétendant gênant afin de l’éliminer à nouveau. Il est dit de The Gingko Bed qu’il fut l’un des premiers films coréens à judicieusement utiliser les effets spéciaux. Il faut également souligner la bande originale enivrante et touchante de Lee Dong-Joon, dont les échos nous hantent longtemps après la fin du générique.

Un certain film espagnol profitera quant à lui de ce qu’il est convenu à présent d’appeler « l’effet Fant-Asia », c’est-à-dire la capacité de la foule à amplifier l’expérience d’un film (et de son subséquent bouche-à-oreille) au point où, une fois (re)visionné à la maison, celui-ci se transforme en flop total. Airbag, de Juanma Bajo Ulloa, mêle dans récit abracadabrant enterrement de vie de garçon, deux bandes mafieuses, trafic de poudre et quiproquos complètement farfelus. Cocktail explosif pour le public de Fant-Asia, qui hurle d’un rire collectif irrésistible. Et pourtant, plus tard, lorsqu’on le revoit dans son salon, c’est parfaitement moche. Dans le genre « son de cricket » moche. Faut croire qu’il fallait y être… Heureusement que l’effet Fantasia peut aussi être extrêmement positif, comme ce fut le cas entre autre pour Takashi Miike et le regretté Satoshi Kon.

À souligner dans le volet international, la suite très attendue au court métrage Aftermath de Nacho Cerda : Genesis, ainsi que la première canadienne de Pi de Darren Aronofsky, à l’époque un pur inconnu au pays.

Pep Tosar s'exécute dans Genesis de Nacho Cerda, via ZombieVamp; Les lascars ''profesional, mucho profesional'' d'Airbag, via My Kingdom for a Film; Le mathématicien obsédé par la régularité mathématique dans Pi, premier long métrage de Darren Aronofsky, via Yell Magazine.  

Du côté japonais, un nouveau réalisateur fait son entrée sur scène. SABU, de son nom d’acteur Hiroyuki Tanaka, propose avec D.A.N.G.A.N. Runner une course folle sur 82 minutes impliquant un yakuza, un toxicomane et un salaryman. Un nom à surveiller! Takashi Ishii est quant à lui venu présenter, pour le plus grand plaisir des amateurs du genre, son triplé yakuza : Gonin, Gonin 2 et Black Angel.

Tel que je le mentionnais dans la première partie, c’est avec l’expérience qu’on précise nos goûts et qu’on accepte de prendre des risques pour faire des découvertes. Le risque, évidemment, ne paie pas toujours. On l’apprend à la dure avec Rubber’s Lover du réalisateur Shozin Fukui… Je ne me défile pas devant l’extrême ou la violence à l’écran. Néanmoins, avec quelques tentatives derrière la cravate, je peux maintenant affirmer hors de tout doute que je ne suis pas le bon public pour les films expérimentaux underground industriels fétichistes pseudo-artistiques, qui font l’amalgame de bruit, d’images saccadées et d’horreur forcé. Je quitte rarement une salle avant la fin d’une projection, mais il y a des moments où la limite est atteinte…

Shinichi Tsutsumi court et court dans D.A.N.G.A.N. Runner, via Mubi; Un cobaye se fait pousser vers la torture dans Rubber's Lover, via Cinema of the Abstract; Les temps sont durs pour les yakuza dans Gonin, via Filmosphere; Ayumi Ito contemple en silence le corps de sa mère dans Swallowtail Butterfly, via Film-Cine.


Heureusement, le cinéma japonais ne s’arrête pas là. La foule se verra proposer une œuvre splendide, Swallowtail Butterfly, avec la présence en chair et en os de son réalisateur Shunji Iwai. Appuyée par l’énergie musicale du YenTown Band (formé pour l’occasion), Swallowtail raconte, dans un avenir rapproché, le destin d’une poignée d’immigrants venus au Japon afin de profiter de la manne qu’est le Yen, la plus puissante devise du monde. Réduits à un état de misère, vivant de la prostitution, de petits larcins et de la récupération dans les dépotoirs, ces laissés-pour-compte ostracisés par la société dominante voient enfin la chance leur sourire. Mais ce qui sera l’occasion pour plusieurs de réaliser leurs rêves s’accomplira malheureusement au détriment de leur fraternité. Un drame poignant tantôt teinté de réalisme, tantôt de style purement cinématographique et plaçant les inégalités sociales au premier plan.


Sous le charme de Hong Kong

Presque 20 ans plus tard, on relit la liste des films inclus et on se pince d’avoir eu accès à un tel buffet : An Autum’s Tale avec Chow Yun-Fat; le tout premier film de Wong Kar-Wai, As Tears Goes By; le doublé légendaire de John Woo, The Killer et Hard-Boiled; le premier film de Jet Li en cantonais non-doublé, The Hitman; la comédie sexy de Derek Yee, Viva Erotica, où se cache en fait un film sérieux sur l’intégrité artistique; l’intense tandem composé de Lau Ching-Wan et Francis Ng Chun-Yu dans Full Alert de Ringo Lam; la suite des atrocités Catégorie III imaginées par Herman Yau dans Run and Kill; la brillante déconstruction du genre wuxia pian servie par Tsui Hark dans The Blade, dont la vedette Zhao Wen-Zhou fut accueillie par un Cinéma Impérial rempli à craquer et où la rumeur veut que 10 000$ aient été nécessaires pour obtenir cette unique projection…

J’ai été une fois de plus soufflée par les productions de la Milkyway Image Ltd et j’avoue avoir une corde sensible pour les films policiers/triades, genre dans lequel (quel hasard!) la péninsule excelle. Johnnie To et Milkyway nous auront fait cadeau en 1998 d’Intruder avec la menaçante Wu Chien-Lien, de l’inspirant et infiniment cool The Odd One Dies, et du plus noir que noir The Longest Nite.  

The Longest Nite (dont je fais l’éloge dans ce billet) est un film tordu, cru, complexe, qu’on ne quitte pas des yeux une seule seconde. Le film baigne dans une atmosphère lourde, humide, où la ligne séparant les bons des méchants est floue. Lau Ching-Wan et Tony Leung Chiu-Wai se lancent ainsi la balle dans un jeu de chat et de souris, au centre d’un conflit entre groupes mafieux pour le contrôle de Macau. Dans une scène d’anthologie, l’humidité (et la culpabilité) étouffante pour le personnage de Tony Leung est en contraste total avec le bleu en apparence glacial de la nuit, porteur de vérité, qui s’infiltre par les barreaux de la cellule où Lau Ching-Wan est prisonnier. Ce bleu lapis lazuli dramatique, que j’appelle affectueusement le « bleu Milkyway », sera utilisé dans bon nombre de leurs productions, ainsi que par d’autres artisans de l'industrie.


Les bleus atmosphériques du cinéma de Hong Kong : Anthony Wong Chau-Sang en bête déchaînée dans Beast Cops, via Happyotter; De jeunes Maggie Cheung Man-Yuk et Andy Lau Tak-Wah dans As Tears Go By de Wong Kar-Wai, via le NY Times; Le ''Bleu Milkyway'' dans toute sa puissance avec Tony Leung Chiu-Wai dans The Longest Nite, via A Hero Never Dies.

Finalement, Gordon Chan et Dante Lam auront fait équipe pour réaliser un des films les plus mémorables de l’époque : Beast Cops. Celui-ci regroupe un policier à cheval entre ses responsabilités et le monde interlope (Anthony Wong Chau-Sang au sommet de sa forme), un jeune loup assoiffé de pouvoir (remarquable Patrick Tam Yiu-Man) et des collègues étrangement assortis (hilarant Sam Lee Chan-Sam et surprenant Michael Wong Man-Tak). De la comédie, de l’action, du film noir, des tartelettes aux œufs, tout y est. Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que les cinéastes, Anthony Wong et Patrick Tam se seront respectivement mérité les prix de la meilleure réalisation, du meilleur rôle principal et de soutien, en plus du meilleur film et scénario aux Hong Kong Film Awards (HKFA).


Ouf! On reprend son souffle et on se retrouve au prochain billet pour la suite de notre route : Fant-Asia 1999!


2 comments

  1. Toujours superbement écrit. Un très bon compte-rendu.

    ReplyDelete
  2. Merci! Toujours un plaisir d'écrire pour mes lecteurs.

    ReplyDelete

© Cinéphile + Théophile
Maira Gall